"Huit ans de violence, qui n'ont mené à rien, ne nous ont-ils pas appris la vanité de la force ?", par Nomika Zion

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"Je parle avec les gens de Sderot et je vois qu'ils ont tous retrouvé le sourire", se vantait Fouad [Benyamin (Fouad) Ben Eliezer, ministre israélien des infrastructures] à la radio, au deuxième jour de la guerre. "A mesure que la frappe s'élargit, les cœurs se rapprochent", ajoutait-il.
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Cher monsieur, cela ne vaut pas pour tout le monde, loin s'en faut. Et même si j'étais la seule dans toute la région de Sderot à ne pas me reconnaître dans vos propos – et je ne le suis pas –, il n'en faudrait pas moins m'écouter.

Ce n'est pas pour moi, ce n'est pas en mon nom que vous avez lancé cette guerre. Le bain de sang qui a lieu à Gaza ne l'est pas au nom de ma sécurité. Des maisons détruites, des écoles bombardées, des milliers de réfugiés : ce n'est pas en mon nom, encore moins pour ma sécurité.

A Gaza, on n'a pas le temps d'enterrer les morts. On les glisse deux par deux, comme on peut, dans des cellules frigorifiées. Dans la rue, les cadavres s'entassent, policiers dans un tas et enfants dans l'autre. Nos journalistes zélés s'évertuent à réciter leur propagande en face de "ces images qui parlent d'elles-mêmes".

Mais si je puis me permettre, de quoi parlent-elles, ces images ? Cette guerre ne m'aura offert ni calme ni sécurité. Après une trêve nécessaire, qui nous a permis à tous de retrouver peu à peu notre équilibre émotionnel et psychique et presque une existence saine, nos dirigeants ont réussi à me ramener à ce même endroit, lieu de cauchemar et d'angoisse, à cette course humiliante et terrifiée vers les abris.

Comprenez-moi bien. Le Hamas est une affreuse bande de terroristes, non seulement pour nous, mais d'abord pour les Gazaouis eux-mêmes. Mais au-delà de ce maudit leadership vivent des êtres humains.

Péniblement, des citoyens de deux côtés de la frontière construisent de petits ponts avec des gestes humains. C'est ainsi que l'association Kol-Acher (Une autre voix), dont je suis membre, s'est frayée un chemin d'humanité vers le cœur de nos voisins.

LA CHAPE DE PLOMB DU DISCOURS OFFICIEL ET MÉDIATIQUE

Mais lorsque nous, Israéliens, avons pu profiter de l'accalmie [au cours de la trêve], eux dans le même temps devaient subir le poids du blocus. Un jeune Gazaoui nous a dit qu'il n'avait pas l'intention de se marier et d'avoir des enfants : Gaza ne nourrit pas les rêves d'avenir.

J'ai peur des roquettes. Depuis que la guerre a commencé, je n'ai quasiment pas osé quitter ma rue. Mais la chape de plomb du discours officiel et médiatique, aussi univoque qu'orgueilleux, me fait encore plus peur.

J'ai peur lorsqu'un membre de notre association est attaqué par des habitants de Sderot pour avoir exprimé une position critique vis-à-vis de la guerre dans une interview. Critiques qui seront suivies de coups de fil anonymes et de la crainte de retourner dans sa voiture, ne sachant ce qui pourrait l'y attendre.

J'ai peur quand je vois si peu de place accordée à d'autres voix et combien il est difficile de les exprimer ici, à Sderot. Je suis prête à payer le prix de l'isolement, mais pas celui de la peur.

J'ai peur de voir ma ville se parer des drapeaux d'Israël à l'occasion de cette guerre, avec ces voitures qui klaxonnent lorsqu'une bombe d'une tonne tombe chez nos voisins.

J'ai peur de ce monsieur qui avoue, le visage radieux, qu'il n'était jamais allé à un concert, mais que le bombardement de l'armée israélienne sur les habitants de Gaza est la plus douce musique qu'il ait jamais entendue. J'ai peur du journaliste arrogant qui ne contredit pas ces propos.

J'ai peur que, par le brouillage orwellien des mots et par les cadavres d'enfants dont l'image a été elle aussi brouillée exprès pour nous, comme un service rendu au public, nous perdions notre capacité humaine à voir ceux de l'autre côté, à sentir, à se scandaliser, à éprouver toute empathie.

Sous le nom de code de Hamas, les médias nous ont fabriqué un immense et sombre démon qui n'a pas de visage, pas de corps et pas a fortiori de voix. Un million et demi de personnes sans nom.

Un sombre courant de violence s'infiltre au plus profond de la société israélienne, l'envenime et s'intensifie de guerre en guerre. Il n'a ni forme ni odeur, mais d'ici on le sent bien. C'est une forme d'euphorie, d'allégresse guerrière, une exaltation vengeresse, une ivresse de la force qui enterre un noble précepte juif : "Ne te réjouis pas de la chute de ton ennemi."

Une éthique tellement souillée aujourd'hui qu'il semble que jamais plus aucun lavage ne pourra en enlever cette tache. Dans notre démocratie fragile, il faut peser chaque mot. Autrement, va savoir ce qui t'attend. La première fois où je me suis sentie protégée par mon pays, ce fut lorsqu'une trêve a été conclue.

LE MENSONGE DE LA FORCE

Je n'ai absolument rien à dire aux gens du Hamas mais je demande à nos dirigeants ceci : avez-vous vraiment essayer par tous les moyens de prolonger cette trêve ? Avez-vous réellement tenté de résoudre les problèmes de points de passage et du blocus avant de commettre l'inévitable ? Etes-vous allé jusqu'au bout du monde pour trouver des intermédiaires appropriés ? Pourquoi avoir décliné sans sourciller, alors que la guerre venait d'éclater, la proposition française de cessez-le-feu ? Pourquoi refuser en ce moment même toute initiative de pourparlers ?

N'a-t-on pas encore atteint le seuil de roquettes que nous sommes capables d'encaisser ? N'a-t-on pas encore atteint le seuil d'enfants palestiniens tués que le monde serait capable de digérer ? Qui nous promet qu'il est possible d'éliminer le Hamas ? N'a-t-on pas déjà essayé ces mêmes méthodes ailleurs ? Qui pourrait prendre la place du Hamas ? Et comment de ces ruines, de la famine, du froid et des morts naîtront les voix de la paix ?

Où nous menez-vous ? Quel avenir nous promettez-vous, ici, à Sderot ? Et pour combien de temps encore nous ferez-vous courber l'échine sous le poids des mensonges et des clichés : "Il n'y a personne à qui parler de l'autre côté", "c'est une guerre inévitable, laissez Tzahal terminer le 'boulot'", "on va juste frapper le Hamas et rentrer à la maison", "c'est au nom de la paix". Toujours le mensonge de la force, seul guide pour trouver une solution aux problèmes de notre région.

Et comment se fait-il que chaque interview furtive avec un membre de notre association commence et se termine par cette même question moqueuse du journaliste : "Vous ne trouvez pas que vous êtes un peu naïfs ?"

Comment se fait–il que la possibilité d'un pourparler, de toute tentative d'accord ou d'entente, même avec le pire de nos ennemis, soit devenue synonyme de naïveté, tandis que l'option militaire sera toujours le fruit d'un choix rationnel ?

Huit ans de violence, qui n'ont mené à rien, ne nous ont-ils pas appris la vanité de la force ? Tzahal a battu, éliminé, tiré, rasé, frappé et raté, et fait beaucoup de bruit. Quel avantage en avons-nous retiré ? Question rhétorique.

La vie à Sderot, aujourd'hui, est insupportable. La nuit, à Gaza, Tsahal détruit des infrastructures et tue des personnes. Les murs de nos maisons tremblent. Le matin, à Sderot, nous encaissons les roquettes, à chaque fois plus sophistiquées. Une personne qui se rend au travail n'est pas sûre de retrouver sa maison intacte le soir. A midi, on a tout juste le temps d'enterrer un de nos jeunes héros qui a payé de sa vie pour une énième guerre "juste".

Parfois, on arrive à joindre par téléphone nos amis désespérés à Gaza. Pas d'électricité, pas d'eau, pas de gaz, pas de nourriture ni d'endroit où fuir. Et seuls les mots de N., une fillette de 14 ans dont l'école a été bombardée et dont la camarade de classe est morte, nous parviennent dans un anglais impeccable, par mail : "Aide-nous, nous sommes des êtres humains."

Ces mots ne me laissent pas en paix. Je n'ai pas retrouvé le sourire, cher Fouad, pas du tout. Une tonne de plomb durci me pèse sur le cœur, et cela, il ne peut le contenir.

Nomika Zion est membre de l'association Kol-Aher (Une autre voix).

LEMONDE.FR | 13.01.09

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